
White Falls est de ces villes bien trop nombreuses que l’on quitte le plus souvent les deux pieds devant, ou pas du tout. D’ailleurs le roman s’ouvre sur un suicide, celui d’un jeune homme qui hantera le roman, comme la preuve irréfutable que même lorsque l’on souhaite partir de cette ville, une partie de nous y reste irrémédiablement.
On pourrait se fier au titre et imaginer que le sujet est Iona Moon, cette adolescente maigre comme un couteau, élevée dans un terreau de violence et de promiscuité, mais l’on aurait tort. Il y a bien sûr Iona, mais n’oublions pas Jay, dont les rêves d’université se fracassèrent en même temps que sa voiture. Ne passons pas non plus à côté de Willy, qui marche dans les pas bien trop grands de son père, déterminé (dans tous les sens) à embrasser la carrière paternelle. N’oublions pas les mères fragiles ou alcooliques, les pères cruels et indifférents et les frères incestueux. Car le monde qui gravite autour de ces adolescents est un aveu déchirant de la mort du rêve américain.
La finesse de l’autrice est sa capacité à nous montrer l’ambiguïté de l’adolescence, ce fragile équilibre entre une confiance rugissante et une naïveté à la fois touchante et pathétique. Grandir c’est se blesser au contact du réel, penser tout savoir et se tromper dans les grandes largeurs. C’est parfois aussi réaliser que revenir sur ses pas n’est pas un échec. On voudrait prendre par la main la jeune Iona Moon et lui éviter des écueils, mais il faudra bien contempler son errance, déambuler avec elle dans cette Amérique rurale des années 60. On s’y attache autant qu’elle nous agace, elle et tous les autres, que l’on voudrait secouer par moments. Et puis, ils nous touchent, par leur vulnérabilité qui déchire le roman par instants. Ça n’est pas confortable de rester avec eux, mais c’est compliqué de les quitter.
Si vous aimez la complexité des émotions, les romans doux amers qui rendent mélancolique, et les personnages aux ressentis si saillants qu’ils pourraient vous blesser, alors il se peut que vous aimiez énormément Iona Moon.
Iona Moon. Melanie Rae Thon. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Élisabeth Peellaert. Éditions de l’Olivier. 2022. 412p.
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