
Il dit fermez les yeux, fermez les yeux et les yeux se ferment et l’intérieur des paupières se mélange au gris au blanc au vert de la salle, aux lumières qui progressivement décroissent, fermez les yeux sa voix à mon oreille gauche entre la soufflerie et le bruit des instruments sur la table, fermez les yeux et il n’y a plus d’ici il y a la mer derrière mes rétines, la mer et sa voix à mon oreille gauche le cri des sternes le soleil éblouissant à la surface de l’eau, sur mon ventre mes cuisses la fraîcheur de l’antiseptique et sa voix à mon oreille qui me retient sur la plage, mon corps absent à même la table, mon corps habité métal contre chair, ce qui se joue en moi et moi en-dehors, moi sur la plage avec sa voix à mon oreille gauche qui maintient mes pieds dans le sable, à mon oreille droite le bip ininterrompu des battements de mon cœur, le bip qui s’accélère quand le corps se rappelle et que je l’éloigne de moi que je reste sur la plage l’œil au loin le souffle ample et la machine à mon oreille droite qui reprend le rythme qui ralentit qui stabilise, la douleur distanciée prête à revenir, à déferler sur la plage et moi qui la regarde au-delà de la mer au-delà des sternes au-delà du sable humide à mes chevilles, qui l’abandonne aux vagues et reste loin de moi, l’œil flou, étrangère aux mains sur mon ventre, à ce que l’on en sort, aux outils qui pincent et piquent et mordent la chair, le corps entier tendu vers sa voix à mon oreille gauche et la machine à mon oreille droite entre les deux il n’y a plus rien il n’y a que le corps vide de moi et moi sur la plage, en dedans, le temps ductile, le souffle long, le cœur ralenti. Il me dit faites demi-tour, je pourrais rester là sur la plage devant mes yeux le bleu du ciel la brume de chaleur qui ride la surface de l’eau, mais sa voix à mon oreille gauche me dit c’est fini et lorsque je reviens à mon corps mes jambes mon ventre ma gorge c’est l’eau de la plage qui m’a suivie et s’écoule hors de moi. C’est le souffle du vent dans les pins, le crissement du sable sur ma peau, et l’étonnement de ma propre matérialité, de m’être enfuie de moi et d’être revenue.
On écoute quoi aujourd’hui?
Laisser un commentaire