
Lucile Novat a raison, dès le début. Elle nous dit qu’on sait, et qu’on oublie. Et c’est vrai. Qu’on nous dit quoi ? Mais si, vous savez bien, on nous dit des choses, des secrets, des effarements sur ce qui se passe derrière les portes closes. On nous confie des trésors de traumas, les enfants, les anciens enfants, nos mères… Et on oublie. On prend conscience on dit c’est terrible je te crois et on oublie. Et comment faire pour ne pas oublier?
Parce que De grandes dents c’est ça. Certes il y a le conte et son analyse contemporaine, étayée de ce que la socio et la psychanalyse dépoussiérée ont a nous apporter aujourd’hui. Mais le conte c’est l’exemple, c’est la preuve de ce « on vous l’a dit, montré, tout était là, les preuves » et vous n’avez pas vu, ou alors vous avez oublié. Et le fond c’est la question des violences intrafamiliales sur les enfants. Sur ce qui se passe derrière les portes closes, lorsque la chevillette et la bobinette ont été remises en place. Le loup n’était pas tant dans la forêt que dans le lit, et nous, tout bouffis de tabou que nous sommes, nous ne savons pas faire la différence entre un loup déguisé en grand-mère et une grand-mère qui est en fait un loup.
C’est que l’on a bien l’habitude d’évoluer dans la prédation, elle nous endort et nous aveugle. Mais alors comment ne pas oublier, puisque c’est le point d’achoppement du sujet ? Par l’humour, tente Lucile Novat. Par un ton sarcastique qui dépouille le sujet de ses ornements de pudeur, des punchlines inattendues qui nous déstabilisent et finalement nous soulagent. Si l’on peut en rire alors on n’est pas obligé de chuchoter, de dire tout bas, de rester dans le secret. Rire c’est exposer au grand jour, et ce faisant, lever la chape du tabou, renverser la honte. Ça marche. Parce que le texte de Lucile Novat reste en tête, qu’il est irrigué d’un récit personnel en notes de bas de page qui donne une force au propos du texte principal. Et parce qu’il est poursuivi par un conte dont on est l’héroïne, et où, après bien des errances, la seule manière de s’en sortir c’est par la désobéissance. Brillant.
De grandes dents, enquête sur un petit malentendu. Lucile Novat. Editions Zones. 2024.
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