
Il n’est pas si fréquent de pouvoir observer comment la littérature se nourrit, et comment la lecture d’une autrice amène à la création d’une autre. On pourrait penser que ça n’est pas le sujet ici, et pourtant ça l’est. Parce que l’autrice qui écrit une biographie de Silvina Ocampo, c’est Mariana Enriquez. Et que je suis persuadée, après lecture, que Mariana Enriquez ne pourrait pas écrire comme elle le fait si elle n’avait pas lu Silvina Ocampo.
Parce que la petite sœur dont il est question, la petite dernière à l’étrange parler, aux idées parfois dérangeantes, va venir bousculer la littérature argentine, et infuser en son cœur l’étrangeté qui la caractérise. Ne pouvant accéder à des documents encore inédits, Mariana Enriquez a tenté de produire une enquête afin de mettre des mots sur Silvina. Qui était-elle ? Comment a-t-elle vécu, elle qui descendait d’une famille immensément riche, à épousé un écrivain de dix ans son cadet et dont la relation avec sa sœur aînée, Victoria, est un terreau plein d’épines ?
Tous ceux qui ont côtoyé Silvina l’attestent, elle était sinon fantasque, à tout le moins désappointante. Impossible à saisir, pas franchement sympathique, elle semble nimbée d’une aura de mystère et de secret. Sa vie est sujette à spéculation, ses relations aussi, mais sous la plume de Mariana Enriquez elle apparaît plutôt comme la toile vierge servant de support aux projections de ceux qui l’ont connue. Personne ne sait vraiment ce qu’elle pensait, ou la version exacte de certains événements. Et dans la plume de Mariana Enriquez, on cherche, comme un jeu de piste : le mystère de Silvina Ocampo vient-il produire cette écriture particulière ? Ou bien est-ce l’écriture si propre à Mariana Enriquez qui rend Silvina si mystérieuse ?
On en ressort avec l’envie furieuse d’aller dévorer le peu de textes de Silvina Ocampo traduits en français, mais également de se plonger dans tout ce que la littérature argentine (et notamment celle écrite par des femmes) a à offrir. L’atmosphère y semble entêtante, vénéneuse, amorale parfois, un régal.
La petite sœur. Mariana Enriquez. Traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet. Editions du Sous-sol. 2024. 300p.
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