
Pour raconter la vie d’Antonio Borjas Romero, il faut tout d’abord parler de la muette Teresa, mais aussi de Leona Coralina, de don Victor Emiro Montero et d’Ana Maria. Mais pour raconter la vie d’Ana Maria, il faut d’abord évoquer Eva Rosa et Chinco Rodriguez. Parce que Miguel Bonnefoy est un conteur, il ne peut pas modeler devant nous un personnage sans nous parler de ses parents, de ses enfants, d’une vieille tante assise dans un coin, des rencontres et des rebondissements qui jalonnent sa vie. Dans les romans comme dans la vie, on ne sort jamais de nulle part et nos destins sont tissés dans ceux des gens qui nous entourent ou nous croisent.
Dans le destin d’Antonio Borjas Romero, c’est également l’histoire du Venezuela qui s’écrit, de grandes découvertes en révolutions, de dictature en superstition. On galope au travers des années, rebondissant d’une péripétie sur l’autre, à un rythme effréné et incroyablement prenant. Les générations s’engendrent et s’enterrent dans une pure tradition à la Garcia Marquez, ils arpentent le pays sur les traces d’une destinée romanesque et grandiose, partent, reviennent, se cachent… C’est un pays peuplé d’aventuriers et d’idéalistes, de brigands et de fantômes. Le réalisme magique est partout, la superstition, les malédictions, les présages. Et c’est ce mélange subtil et entêtant d’encens et de poudre, de sueur et de larmes, de conte et d’épopée, qui nous fait tourner frénétiquement les pages du Rêve du jaguar. On y est bien, on en voudrait deux cent pages de plus tant on rechigne à quitter la grande maison familiale, on se console en croisant des personnages qui peuplent les précédents romans de Miguel Bonnefoy, comme des clins d’œil dans un univers cohérent et vaste.
Je ne m’attendais à rien de moins, et je n’ai pas été déçue, tant retrouver cette plume pleine de panache et d’allant est une réjouissance de cette rentrée littéraire. Je vous laisse par ici, moi je pars au Venezuela.
Le rêve du jaguar. Miguel Bonnefoy. Rivages. 2024. 295p.
Laisser un commentaire