Mater Dolorosa, de Jurica Pavicic

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Je pourrais vous dire que Mater Dolorosa est une enquête policière croate autour du meurtre d’une jeune femme, de la culpabilité d’un jeune homme et de comment la police cherche à le coincer. Mais on s’en fiche, de ce meurtre. Car si l’on détourne un peu le regard des ficelles narratives classiques du roman policier, on va se retrouver face à beaucoup plus intéressant.

J’admire Jurica Pavicic dans chacun de ses romans pour sa capacité à peindre en peu de traits les nuances d’une société complexe, coincée entre traditions et mondialisation. L’auteur croate sait s’affranchir des codes romanesques pour nous livrer avec minutie des vies ordinaires, et leurs trajectoires irrémédiablement ébranlées. Oui, il y a le meurtre, et la douleur de la famille, à laquelle on aura peu accès. Mais il y a le secret, et d’une manière tout à fait étonnante, la charge mentale du meurtre pour celles qui gravitent autour de l’assassin. Mère, sœur, sans jamais se parler elles prennent sur leurs épaules la responsabilité de la dissimulation, ou de la dénonciation.

Dilemme moral et conflit de loyauté. Quand le pire advient au plus proche de soi, quels sont nos mécanismes de survie ? Quel est le poids de la famille, du sang ? Et autour de cette question centrale, une myriade d’autres se pose, subtilement. Le temps qui passe et les mutations d’un pays, les traumatismes de la guerre sur certaines générations, et le poids de changements sociaux rapides sur d’autres. À divers endroits et sous des aspects variés, le sujet reste le même, comment les femmes portent-elles la responsabilité de la violence, de la lâcheté ou de l’absence des hommes ?

Et sans être un roman à thèse, Jurica Pavicic nous offre un texte tout en tension joliment maîtrisée, mais aussi brillant par la finesse de son analyse des rapports humains, la fragilité ou au contraire la robustesse de certains liens qui nous étonnent. C’est incroyablement réussi.

Mater Dolorosa. Jurica Pavicic. Traduit du croate par Olivier Lannuzel. Agullo (maison d’édition indépendante). 2024. 396p.

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