Retour à Belfast, de Michael Magee

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Il existe des complicités littéraires, des filiations bienheureuses qui bousculent le cœur une fois deux fois parfois plus. Il y a quelques années, j’ai été marquée pour toujours par Eureka Street, de Robert McLiam Wilson. Aujourd’hui c’est Retour à Belfast, de Michael Magee, qui vient se poser en pendant contemporain du chef d’œuvre des années 90.

Ici l’Irlande du Nord contemporaine, ses générations de jeunes gens dont les parents ont traversé les années 90 et le conflit nord irlandais et portent encore aujourd’hui les marques de leur propre jeunesse. Ici Sean, qui a pu s’extraire en partie de son milieu populaire pour aller faire des études à Liverpool, et s’en revient tout aussi désœuvré. Que faire à Belfast avec son diplôme de lettres, lorsque la vie que l’on avait laissée sur place revient vous grignoter. Sa mère, ses frères, dont l’un s’enfonce dramatiquement dans les addictions et la violence, les petits jobs merdiques, les soirées à rallonge où l’on se met de la coke plein le nez pour ne pas penser au fait qu’on n’a pas un rond, même pas pour payer le taxi. Comment exister et se construire quand on est partagé entre le monde d’où l’on vient et celui, flou, fantasmatique et inatteignable auquel on aspire ?

Michael Magee livre un récit dont la voix intérieure frappe par sa lucidité mélancolique. Où commence la construction de soi et que faut-il laisser derrière, à regret parfois ? C’est un roman formidable sur l’incompréhension de générations qui font face à des problématiques très différentes et ne savent pas toujours se parler, sur la construction de la masculinité dans un monde d’hommes taiseux, sur les rapports de classes, le passage à l’âge adulte. C’est une errance intérieure et géographique dans une ville qui porte en elle les stigmates de son Histoire, et où les jeunes payent la dette de leurs parents coupables d’avoir rêvé à plus de paix. C’est brillant de vulnérabilité.

Retour à Belfast. Michael Magee. Traduit de l’anglais par Paul Matthieu. Albin Michel. 2024. 419p.

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