
Cet article traite de questions relatives à la mort, à la photographie post-mortem et renferme des liens menant vers le site des Thanatos Archive. Soyez sûr.es d’être dans de bonnes dispositions pour le lire ou cliquer sur ces liens.
Il y a des sujets que l’on répugne à aborder en société, de peur d’être perçue comme bizarre, morbide voire même totalement infréquentable. La photographie post-mortem en est un. On en parle peu entre amis ou dans des dîners. C’est dommage, je crois, car cela montre à quel point nos sociétés contemporaines sont frileuses à l’idée d’évoquer la mort – une des seules expériences, avec la naissance, à être universellement partagée et inéluctable. Notre mort fait notre humanité, et pendant de nombreux siècles elle a été une compagne du quotidien. La mortalité infantile était importante, les accidents nombreux, la vaccination inexistante. On mourait, c’était comme ça, c’était triste mais ça n’était pas une anomalie. L’être aimé décédé était veillé par ses proches, la mort habitait la maison avant les funérailles -et puis on mourait chez soi, évidemment- on lavait les corps de nos proches, on choisissait leurs derniers vêtements.
Nos sociétés occidentales modernes ont éloigné la mort de nous, et si cela peut sembler une excellente nouvelle, cela n’est pas sans charrier son lot de contradictions, de craintes, de déni. Aujourd’hui mourir est une anomalie, si cela n’arrive pas à un âge avancé, tranquillement dans son lit ou dans une maison de retraite. Mourir ne devrait pas arriver avant d’être parvenu.es au terme d’une vie remplie, heureuse, une succession de moments Nutella, nous fait croire notre époque contemporaine. La mort est également devenue un fardeau. Plus question d’imposer à nos proches qui n’ont rien demandé et n’ont surtout pas envie de mettre leurs mains sur un corps mort nan mais oh ça va c’est dégueulasse, même si ce sont les gens que l’on a le plus aimés dans notre vie, de s’occuper de nous en tant que défunt.e. (Mais vu qu’on ne nous apprend plus vraiment à s’occuper les un.es des autres en étant vivant.es, il y a une sorte de continuité me direz-vous). Cachez donc ce corps que je ne saurais voir, et pas question d’en garder un souvenir, puisqu’il faut célébrer la vie à tout prix on ne va pas se rappeler que nous mourrons toustes un jour en conservant des archives iconographiques de nos proches sur leur lit de mort.
Eh bien pourquoi pas ? Ca s’est fait, pendant un temps, et ne prenez pas cet air dégoûté je vous en prie car c’était une activité tout à fait normale qui relevait d’un processus de deuil sain.
La photographie post-mortem a connu son essor au début de la photographie – et notamment du daguerréotype- (no shit Sherlock, avant c’était quand même plus compliqué) et avant qu’elle ne devienne un accessoire du quotidien. Lorsque les familles n’avaient en tout et pour tout que deux ou trois photos d’elles dans toute leur vie (mariage, baptême éventuellement), la photographie post-mortem était là pour fournir un souvenir des défunts. Parfois, la seule photo qui existait d’une personne était celle prise au moment de son décès. Alors pourquoi les conserver aujourd’hui, puisqu’elles relèvent de l’intime des familles, si ce n’est pour alimenter de macabres passions ? Eh bien car tout est politique Jamy, on l’a déjà dit, mais également car tout ce qui nous arrive du passé permet de mieux comprendre comment on vivait alors, quel rapport on pouvait entretenir avec la mort, quelles classes sociales pouvaient se permettre d’accéder à ce service. Les mises en scène, décors, positions, sont autant d’indices pour comprendre le monde victorien.
J’ai mis dans l’article des liens cliquables qui emmènent vers des photographies, tout en essayant de vous en choisir des qui ne soient pas trop heurtantes. Le but n’est pas de traumatiser qui que ce soit, mais de mettre en lumière une tradition des pratiques de deuil aujourd’hui disparues, tout en étant un éclairage socio-culturel.
Les Thanatos Archive sont un fond d’archives extrêmement dense recensant les photographies des défunts, mais aussi des photos de deuil, des articles de presse sur des tenues de deuil, des calèches etc. On se rend compte que ces photos étaient parfois gardées par la famille, parfois montées en cartes postales – ça change du camping de Collioure – afin que la famille éloignée ou les ami.es puissent garder un souvenir des défunts, et les prier. Cela concerne également les animaux . J’ai découvert l’existence du livre Beyond The Dark Veil lors de ma lecture de l’essai « La Voix des fantômes », de Grégory Delaplace. L’auteur y mettait en exergue la photographie d’une jeune femme, alitée, les yeux ouverts mais vraisemblablement (au vu des fleurs dans ses mains et de leur symbolique, mais aussi d’un léger affaissement des paupières) déjà décédée. Cette photo est présente dans le livre (je n’en ai pas trouvé d’autre occurrence sur internet) et m’a totalement fascinée, sans que je puisse aujourd’hui vous expliquer pourquoi. J’ai donc commandé l’ouvrage et me suis plongée dans ce voyage temporel.
Il faut toutefois prévenir que, la mortalité infantile étant ce qu’elle est à ce moment-là de l’Histoire, la plupart des photos de l’ouvrage sont celles d’enfants. Et autant certains photographes ont à cœur de rendre leur travail plus doux pour les parents (mise en scène, impression de sommeil ou de sérénité), autant d’autres se contentent de documenter le décès. Je crois que l’on n’a pas du tout l’habitude de se retrouver visuellement confronté.es au corps mort, et même si cette lecture n’a jamais été pour moi désagréable (je ne sais pas quelle sorte de distance douce, cependant empathique mais jamais dans la projection je peux mettre avec ce sujet) cela peut être assez heurtant lorsque l’on n’est pas préparé à ce que l’on va voir. Il faut se rappeler que la société de l’époque est par certains aspects très différente de la nôtre, qu’il n’est pas étrange de voir une famille entière (voire un village entier parfois) poser avec un défunt, une mère avec son enfant décédé, ou des enfants avec leur frère ou soeur.
Ce que je ressors de cette lecture, c’est déjà une meilleure compréhension du processus de deuil et du rapport aux défunts dans le monde occidental victorien. Je crois qu’au-delà du côté très frontal des photographies, ce qui m’a le plus émue ce sont les détails, les petits objets chers à la personne disparue disposés à côté d’elle, le soin – c’est vraiment cela, l’idée de soin – apporté à ce dernier moment destiné à magnifier celui ou celle qui n’est plus, mais restera dans le cœur des vivant.es. Sans être anecdotique, l’ouvrage est passionnant, truffé d’informations importantes sur les techniques de photographie, le contexte socio-culturel, les coutumes, les technologies, et ne peut appeler qu’à creuser le sujet plus avant.
Et vu que ce sujet me passionne (la photographie post-mortem mais plus largement ce qui touche à notre rapport à la mort, aux pratiques de deuil, aux fantômes, à la hantise – car oui tout est lié mes braves ami.es) et que je suis toujours là pour mettre du fun sur internet, vous en entendrez encore parler par ici.
Beyond The Dark Veil : post mortem and mourning photography. The Thanatos Archive. Grand Central Press & Last Gap.
On écoute quoi aujourd’hui ?
- Pallid Eyes – Emily Jane White (je vous laisse avec la musique éthérée et légèrement fantomatique d’Emily Jane White, car j’ai bien senti que ce n’était pas le moment de lancer une Chenille)
Laisser un commentaire