Strates, de Kathleen Jamie

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Je vous ai dit mon amour fou pour Tour d’Horizon, le premier texte que j’ai lu de Kathleen Jamie. Il était arrivé dans ma vie par deux biais distincts, avait passé un temps sur mes étagères (dans les deux exemplaires que l’on m’avait offert) et je l’avait ouvert au moment où je me sentais prête à plonger dedans. Et j’avais été transpercée par l’alignement de l’autrice, le calme qui émanait de ses mots. Il m’avait semblé que Tour d’horizon n’était pas tant un livre qu’un refuge, un endroit où se projeter pour faire un pas de côté avec le réel.

« Sous mes yeux la terre s’étendait, dans toutes les directions. Depuis cette petite colline la toundra se déployait à mes pieds comme une mer de verdure aux éclats subtils et scintillante de mares de fonte et de cours d’eau cachés. La terre s’épanouissait, respirait à la faveur du bref été. »

Strates est un recueil un peu différent, composé de moins de récits, mais de récits plus longs, et possédant, à mon sens, moins de liens les uns avec les autres. Cela ne les empêche pas d’être d’une grande beauté, et de donner à voir la vision du monde de l’autrice et poétesse. Le premier récit se déroule dans un village Yupik, à l’occasion de fouilles archéologiques. L’autrice passe plusieurs mois dans ce lieu très reculé, accessible par avion, en compagnie d’un peuple aux prises avec une histoire complexe, dépossédé de sa culture et dont les traces rémanentes sont aujourd’hui piégées dans le sol. Ouvrir le sol, creuser, fouiller, à la faveur malheureuse du dérèglement climatique et de la fonte du pergélisol, c’est remettre au jour une histoire.

Avec son œil acéré, Kathleen Jamie observe, écoute, laisse l’espace aux personnes de se raconter, mais accorde également une grande place à ce que la nature a à dire. Comment perçoit-on ce qui nous entoure en fonction de notre culture ? Les Yupiks sont-ils plus à l’écoute de leur environnement ? Nos perceptions se modifient-elles au contact d’une nature différente de celle dans laquelle nous avons grandi, ou d’autres personnes ? C’est chargés de ces questions que l’on retourne en Écosse, sur une île des Orcades, pour découvrir un autre site de fouilles. Et enfin, un dernier voyage à l’autre bout du monde nous emmène en Chine, presque au Tibet, à un moment de l’Histoire où celui-ci est inaccessible aux occidentaux.

« Le changement de saison s’est fait sans transition. Cette nuit-là je suis restée dehors sous la Voie lactée. De temps à autre une étoile filante brasillait, et j’entendais les cris des oies agitées au bord du loch. Quelques lueurs de ferme chatoyaient sur la terre. Mais au matin le vent avait tourné, apportant des averses froides sur la mer. On pouvait les voir arriver, des ombres grises en provenance du nord-ouest. Même les bruants des neiges étaient repartis. »

Kathleen Jamie insère entre ces trois amples récits quelques textes plus courts, où l’on perçoit le deuil, le rapport à ses parents, ses enfants, la nécessité de s’inscrire dans une filiation, mais aussi le temps qui passe. Je n’ai pas retrouvé l’alignement, la sérénité désarmante, de Tour d’Horizon, mais j’ai apprécié de découvrir une autre facette d’une femme aussi ouverte sur le monde et les autres, et s’efforçant de vivre en accord avec la nature, mais aussi avec son propre rythme.

Strates. Kathleen Jamie. Traduit de l’anglais (Écosse) par Ghislain Barreau. Editions de la Baconnière (maison d’édition indépendante). 2020. 232p.

On écoute quoi aujourd’hui ?

  • Ceilings – Lizzy McAlpine (un truc vraiment doux pour quand le sommeil ne vient pas, ou quand on a le coeur un peu mou, où que l’on vit dans un film où l’on est dans le train, la tête contre la vitre alors qu’il pleut)

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