
« Messieurs de la Haute Cour, le privilège d’ouvrir la première audience du procès des crimes contre la paix mondiale entraîne une lourde responsabilité. Les crimes que nous voulons punir et condamner ici furent si savamment planifiés, si odieux et si dévastateurs dans leurs conséquences que la civilisation ne pourrait tolérer qu’ils fussent ignorés, ne serait-ce que parce qu’elle ne survivrait pas à leur répétition! »
Un pas de côté dans cette rentrée littéraire, pour m’aventurer dans une contrée que je connais peu, les romans historiques ayant trait au XXème siècle. Je n’ai jamais eu de grande passion pour les romans autour des guerres, et les romans calibrés pour plaire à tous les darons de France et de Navarre me laissent en général assez froide. Pas que celui-ci ait allumé un brasier dans mon coeur, mais il m’a beaucoup appris, et c’est déjà pas mal.
J’ai, comme vous toustes, suivi des cours d’Histoire durant ma scolarité et si, sur le papier, j’aime énormément la discipline, il faut avouer que je dois être un peu diminuée car je n’y comprends pas grand chose, surtout dès qu’il s’agit de conflits géopolitiques. J’ai une idée plutôt floue mais suffisante au quotidien des tenants et des aboutissants de la Seconde Guerre Mondiale, j’ai évidemment lu et vu des choses autour de la Shoah, mais certains événements historiques majeurs me sont passés à côté et il était temps d’une petite leçon de rattrapage sur le procès de Nuremberg (chic alors).
Vous dire d’abord que l’auteur, Alfred de Montesquiou, est reporter de guerre et qu’il a reçu le prix Albert Londres. Vous dire ensuite que, bien que ce soit un roman, les événements relatés dans Le crépuscule des hommes sont réels. L’auteur s’est énormément documenté, sa bibliographie de recherche est présente à la fin de l’ouvrage et elle est conséquente. Vous dire enfin, pour poser les bases, que l’auteur a choisi de prendre un prisme spécifique pour situer son histoire. La narration, bien qu’extérieure et omnisciente, se situe du côté des journalistes. Pendant près d’un an, un certain nombre d’entre elleux vont assister au procès, vivre en communauté dans le chateau de Faber-Castell (oui comme les crayons), tisser des amitiés (ou même plus) et tenter de relater l’événement inédit auquel iels assistent.
On en connaît certains, des grands noms qui ne sont pas forcément restés très longtemps : John Dos Passos, Elsa Triolet, Joseph Kessel… On connaît moins Ray d’Addario (photographe de l’armée américaine), Margarete Borufka (interprète), Madeleine Jacob (journaliste française) ou Ernst Michel (journaliste allemand et rescapé d’Auschwitz). Et pourtant nous allons les suivre pendant autant de temps que dure le procès, nous allons avec certains pénétrer au coeur de la prison où sont enfermés les accusés de ce nouvel enjeu majeur pour la Justice de l’après-guerre. Et nous allons comprendre comment les informations se créent, comment l’Histoire s’écrit dans la presse, ce qui fait un bon scoop, comment on survit à l’ennui terrible de ces heures passées à écouter la lecture d’une documentation titanesque, comment on doit adapter son débit de parole pour que la traduction simultanée puisse fonctionner.
Mais nous allons aussi voir apparaître les prémisses de la Guerre Froide depuis la fenêtre de Nuremberg, ainsi que les relations entre les différents pays très présents pendant cette année. Comment se passe l’occupation de l’Allemagne par les Américains, et comment les français communistes se comportent-il avec les Russes ? Au travers des relations parasociales c’est la diplomatie qui se joue devant nous. Mais aussi les petits complots internes, les secrets que l’on voudrait cacher, une ou deux éliminations gênantes, un accusé qui nargue la corde au dernier moment…
Si j’ai trouvé l’écriture très blanche et que j’ai parfois (souvent) un peu trop vu le travail de recherche derrière le texte, je ne peux pas nier que j’ai lu avec plaisir ce roman car j’ai énormément appris. J’ai fait des pauses, pour aller consulter des vidéos (comme le témoignage filmé de Marie-Claude Vaillant-Couturier), des photos, pour me figurer exactement ce qui s’était joué à ce moment-là. Et, malgré ma connaissance des faits, de la cruauté, de la planification, j’ai été bouleversée, comme si j’étais moi aussi présente à ce procès, entendant pour la première fois ce qui s’est déroulé dans les camps d’extermination. Depuis, j’écoute des podcasts, je complète ma lecture avec ce qui me tombe sous la main et pour cela je remercie l’auteur pour son exactitude historique, ainsi que pour la focale particulière choisie. Se situer du côté des journalistes, de personnes engagées pour une retranscription exacte et fidèle de l’Histoire, c’est précieux aujourd’hui.
Le crépuscule des hommes. Alfred de Montesquiou. Editions Robert Laffont (maison d’édition appartenant au groupe Editis). 2025. 379p.
On écoute quoi aujourd’hui ?
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