
« Dans les films, les fugitifs se collent de fausses moustaches, embarquent dans un jet privé aux sièges en cuir ivoire, et partent pour le Brésil. Avant d’atterrir, l’avion fait son dernier virage, et, quoi qu’il advienne, on sait qu’on oubliera jamais la baie de Rio, ni la couleur du ciel le long du Corcovado. Marie salua son mensonge d’un oeil amusé et commanda un deuxième café. Le client d’Orso aurait bien fait de se méfier : c’est précisément quand on nous dit de ne pas s’inquiéter qu’il faut commencer à s’inquiéter. »
Après des jours à végéter au fond de leur lit, anéantis par le chagrin, Marie et Orso n’en peuvent plus. L’appartement, la ville, il leur faut quitter le douloureux univers familier dans l’espoir de reprendre goût à quelque chose, quoi que ce soit, peu importe. Une escapade en voiture, c’est très bien. Un musée ? Encore mieux . Le musée des poids et mesures ? Formidable. Et après quoi ? Rentrer ? Pas question. Les deux amoureux saisissent l’opportunité qui se présente à eux sous la forme de routes à arpenter et de musées insolites à découvrir. Pour sûr, la peine est soluble dans l’audace, la fantaisie et la spontanéité.
C’est la couverture qui m’a intriguée, quelque chose loin des lectures souvent plombées que la rentrée littéraire sait nous offrir chaque année. Un roman qui pourrait rentrer dans la short – très short – list des romans dits « qui font du bien ». Sous entendu, des romans légers sans être écrits avec le cul, drôles, tendres. Et c’était une bonne pioche pour moi. Voyage voyage a été englouti en quelques heures dans la pénombre d’une journée caniculaire de vacances. Je ne savais pas à quoi m’attendre en faisant connaissance avec Orso et Marie, mais j’ai vite pris ma place sur la banquette arrière pour filer avec eux sur les nationales.
« Pour qu’une rencontre amoureuse advienne, il faut un accident. Il en existe toute une variété, allant du plus minime (deux regards se croisent dans le métro) au plus sensationnel (pour sauver le monde d’une attaque extraterrestre, une biologiste surdouée doit collaborer avec un ancien agent du Los Angeles Police Department, un faux bourru au coeur tendre.) Disons que la première entrevue entre Marie et Orso, cinq ans plus tôt, se situait quelque part entre les deux. »
Marie et Orso c’est la relation douce à laquelle on peut aspirer quand on a à la fois vu trop de comédies romantiques et quand même été en thérapie. Ils sont terriblement fusionnels, dans une relation pleine de connivence. Ils s’aiment pour exactement ce qu’ils sont, délestés de projections. Et c’est vraiment très joli à voir. Impossible donc de ne pas avoir de l’empathie pour eux lorsque, au fil du récit, la raison de leur peine se dessine. Et comme il m’a parlé ce chagrin. Comme on le voit peu en littérature, surtout sous la plume d’un homme. Et comme il est difficile d’en parler bien, d’en parler juste. Mais ici, ça semblait facile. De pouvoir parler de la douleur (psychologique, émotionnelle, physique), de l’attente, de la peine jusqu’au plus profond du ventre, de l’espoir et de sa perte, et de la vie pourtant qui continue autour. Des éclats de rire qui cognent contre la culpabilité de ne pas s’absorber entièrement dans le chagrin. Mais du petit feu en soi qui continue à brûler, coûte que coûte.
Le chagrin est la raison de la fuite, mais il y a le reste, la vie autour qui n’est plus à la hauteur. Et comment s’en relever. En partant, en prenant de la distance, du recul sur les choses. Mais aussi au contact des autres. Entre ceux qui nous surprennent, ceux qui touchent, nous serrent, nous enveloppent de leur amour, ceux qui ont des histoires à raconter, ceux qui laissent entrevoir de nouvelles manières de vivre. Victor Pouchet sait mener son récit avec détermination et maîtrise. Il nous fait rire, pleurer, il nous enchante avec son style de petit malin sous lequel perce une douceur et une tendresse désarmantes. Alors, voyage voyage, peut-être pas éternellement, mais au moins le temps d’aller mieux.
Voyage voyage. Victor Pouchet. Gallimard (maison d’édition appartenant au groupe Madrigall). 2025. 192p.
On écoute quoi aujourd’hui ?
Un slow, évidemment.
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