
« Tout s’est passé comme sur des roulettes, déclara Mother. L’équipe a été démantelée. Le butin est en sécurité quelque part. Les cognes » – il consulta sa montre -« devraient bientôt retrouver le fourgon postal et alors la fête commencera. En attendant, on a terminé ce qu’on avait à faire et on va pouvoir piquer un roupillon. Une fois qu’on aura balancé cette petite cargaison quelque part. »
En mai 1952, un fourgon de de la Poste britannique est attaqué et braqué. Les voleurs dérobent près de 300 000 livres sterling expédiées dans des colis de valeur et s’évaporent dans la nature avec le fourgon qui sera retrouvé ultérieurement. Personne ne fut jamais inculpé pour ce crime qui restera l’un des plus grands braquages de l’histoire de la Grande-Bretagne. Dominic Nolan nous en livre une version savoureuse et violente, qui mêle pègre, pauvreté et discrimination raciale au coeur de Londres.
Le roman tourne autour des points de vue de différents personnages, la jeune Addie, dont le père, postier jamaïcain, disparaît un matin pour ne plus jamais refaire surface ; Ray, adolescent blanc vivant avec sa mère, sa soeur et son oncle depuis que son père a également disparu ; Dave Lander, bras droit d’un des barons de la pègre londonienne, également flic infiltré ayant perdu de vue depuis un moment l’idée de faire du zèle. Ils ne se connaissent pas, mais leurs destins sont irrémédiablement liés.
J’ai trouvé ce roman noir formidablement bien mené, dense mais rythmé, et abordant plusieurs thématiques complexes avec une étonnante fluidité. J’ai une connaissance partielle, si ce n’est médiocre, de l’histoire populaire de l’Angleterre et ne pouvais pas bien me représenter la vie des classes populaires et ouvrières au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Dans une ville très endommagée et en pleine reconstruction, les plus pauvres s’entassent dans des logements autrefois uniques, divisés en appartements. Certains quartiers sont occupés plutôt par des blancs, d’autres par des personnes racisées, mais derrière les baux et les collectes de loyers se trouvent souvent des personnes liées à la pègre locale. Cherchant à blanchir de l’argent ou à s’acheter une respectabilité, ils n’hésitent pas à frayer avec des politiques ou des journalistes, et investissent dans des clubs, pubs et autres restaurants abritant en arrière-salle des tables de jeu et de paris.
Le prétexte du braquage est là pour mettre en lumière les rouages d’une organisation bien huilée, dont les ramifications dépassent ce que l’on pourrait imaginer. Les liens, complexes mais étroits, entre la pègre et la police sont également bien tissés, ramenant au centre la question de la loyauté, de la justice et des intérêts particuliers. On pourrait croire, après tout cela, que ce roman est assez froid, voire désincarné, plutôt centré sur la toile d’une araignée insaisissable. C’est sans compter sur une galerie de personnages tantôt repoussants, tantôt très attachants, pour donner du corps à l’intrigue. On est traversé par des émotions assez fortes (ai-je pleuré à certains moments ? Bien évidemment) et on côtoie de suffisamment près les protagonistes pour réussir à cerner leur caractères, leurs envies, leurs rêves.
En toile de fond, le racisme ambiant et les attaques répétées d’une jeunesse blanche en colère contre des populations racisées, une jeunesse biberonnée aux discours nationalistes sécuritaires et alarmistes, pas si éloignés de ceux que l’on peut entendre aujourd’hui, au moment de la grande montée des idées néo-fascistes. La violence est une réponse à un pays qu’ils considère spolié de sa tranquillité, de ses emplois, de son pouvoir d’achat. Il est intéressant de voir qui cela peut servir, à l’arrière plan. Rajoutez sur tout cela, quelques cachetons, de quoi aller un peu trop vite, ou ralentir, des menaces, des trahisons, un peu d’amour – on n’est pas des bêtes – et vous obtiendrez le subtil et savoureux mélange réalisé par Dominic Nolan dans ce roman noir impossible à lâcher avant la dernière page.
White City. Dominic Nolan. Traduit de l’anglais par David Fauquemberg. Rivages. 2025. 553p.
- On écoute quoi aujourd’hui ?
Un tube numéro un des charts en 1952 au Royaume Uni, juste pour une petite nostalgie. Et parce qu’avant Jason Wade et Shrek, il y a avait Jo Stafford !
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