Machine qui rêve, d’Arthur Bouet

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« New York, 1996. A vingt-deux ans, Kenneth Li vient d’obtenir son permis de conduire et, comme la plupart des Asio-Américains, son choix pour sa première voiture se porte sur une Honda Civic. Quelques temps plus tard, lorsqu’il pousse les portes d’un garage le long de la Long Island Expressway dans l’espoir d’y trouver de nouvelles roues, le jeune homme découvre une sous-culture alors balbutiante qui va très vite le fasciner : dans l’atelier, des gamins s’affairent à modifier des voitures d’import japonaises, comme la sienne, pour les transformer en bolides survitaminés rapides comme la mort. Des ten-second cars, Graal ultime de mécano, capables de franchir le quart de mile en moins de temps qu’il n’en faut pour dire ouf. »

Vous connaissez, ou pas mais si vous ne connaissez pas alors je vous laisse un aperçu, ma tendresse et mon amour pour la franchise Fast & Furious, peut-être l’un des traits les plus surprenants de ma personnalité quand on ne me connaît pas bien. Alors, dès que j’ai vu débarquer dans mes cartons l’essai d’Arthur Bouet, je me suis dit qu’il était impensable que je passe à côté. J’ai d’abord été assez émue que la saga fasse l’objet d’un texte et d’une analyse sérieuse, qu’enfin il puisse accéder aux lettres de noblesse que l’industrie du cinéma ne lui a jamais accordé. Alors que la franchise cumule des chiffres plutôt impressionnants en matière d’audience et de recettes, les nominations et récompenses sont totalement absentes. Hollywood aime les films d’actions, mais préfère les héros chics comme Tom Cruise à la carrure bodybuildée de Vin Diesel.

Et c’est plutôt dommage, car si l’on creuse un peu, il y a beaucoup de choses qui se disent dans Fast & Furious, et c’est ce que s’applique à démontrer Arthur Bouet, avec une tendresse non dissimulée qui donne un caractère très doux à la lecture et rappelle que l’on n’est pas obligé d’avoir une position surplombante et snob pour aimer le cinéma. On revient d’abord sur la genèse du film, un article sur les courses de voitures illégales écrit par un jeune journaliste et repéré par un agent d’Universal Pictures. Un scenario qui doit beaucoup à Point Break et nous voilà embarqués dans le premier film de la franchise, d’abord censé être un one shot. Devant les recettes inespérées de ce premier volet, la production repart pour un puis deux préquels, dont le deuxième, Tokyo Drift, déçoit par ses chiffres. Il faudra la détermination de Vin Diesel pour faire de la franchise le monstre qu’elle est aujourd’hui et ce grâce à une approche d’une touchante sincérité.

L’essai ne cherche pas à montrer sous un jour meilleur que nécessaire les failles qui peuvent émailler la saga et les personnes gravitant autour. F&F souffre d’un léger problème de représentation des femmes, ce pourquoi s’est battue Michelle Rodriguez. Vin Diesel est une diva capricieuse autant qu’un type un peu naïf et animé par l’envie de représenter des valeurs qui lui sont chères : la famille, la loyauté. Il y a des angles morts, comme dans toutes les productions. Mais c’est également une franchise populaire au sens de : mise en avant des classes populaires voire ouvrières. La représentation des personnes racisées y est également très importante, sans que la question du racisme soit jamais abordée. Dans F&F, ce qui fait une personne, ce sont ses actions. Et dans une ville aussi multiculturelle que Los Angeles, la saga donne à voir des personnages issus de différentes minorités, tous liés par l’idée d’une famille choisie, d’un clan soudé.

Enfin, ce que j’ai aimé dans cet essai, ce sont toutes les petites anecdotes que j’ai pu découvrir. Parenthèse : je lisais récemment un article qui racontait comment le fait que Google ait supprimé ses résultats de recherche au-delà de 10 pages contribuait à la disparition d’informations, là où le web était avant perçu comme la source ultime de tout ce que l’humanité pouvait/voulait savoir. Les algorithmes valorisant toujours les mêmes contenus et résultats, de nombreux faits et informations sont voués à disparaître s’ils ne sont pas consignés quelque part. Cela peut se voir notamment dans ce qui concerne la mode et le cinéma (mais je suppose que c’est adaptable à tous les domaines) où les mêmes photos reviennent en permanence lors de recherches, au détriment de clichés presque perdus à jamais. L’article terminait sur le fait que les personnes possédant de véritables magazines papier, des revues spécialisées etc étaient aujourd’hui garants d’informations que le web n’était plus en mesure de fournir, et donc avaient avec eux des trésors. Fin de la parenthèse.

Dans cet essai extrêmement accessible, même lorsque l’on ne lit pas trop d’essais ou de livres sur le cinéma, on découvre tout un tas de petites histoires, de micro-faits, de citations, d’anecdotes qui viennent s’agglomérer et donnent une épaisseur à la franchise. Cela rend à la fois le livre et les films précieux, ces allers-retours que l’on peut faire. Lorsque l’on regarde les films, savoir ce que livre existe nous donne envie d’aller chercher des informations complémentaires, et en lisant le livre on a automatiquement envie de revoir les films. Ça me semble être un cercle tout à fait vertueux. Je sais que ni cet essai, ni moi, ne convaincront quiconque que Fast & Furious est un joyau méconnu du cinéma, ce n’est pas le but. Par contre, cela questionne notre rapport aux productions à succès, notre élitisme et peut-être, souvent, notre incapacité à apprécier la joie pure d’un divertissement qui ne prétend pas être autre chose que ce qu’il est. Et peut-être que cela fait partie des fonctions du cinéma, de faire rêver, de faire rire, de créer un sentiment de communauté entre des personnes inconnues qui partagent un attachement profond pour les mêmes personnages aussi touchants que caricaturaux. Dans F&F, la famille est autant dans les films qu’en dehors, et cela réchauffe le coeur d’en faire partie.

Machine qui rêve. Fast & Furious, utopie américaine. Arthur Bouet. Editions Le Gospel (maison d’édition indépendante). 2025. 161p.

  • On écoute quoi aujourd’hui ?

On ne fait pas l’impasse sur la chanson la plus emblématique de la franchise, symbole du deuil de la communauté, dont les premières notes peuvent faire monter les larmes à n’importe quel fan ayant poncé le 7ème film jusqu’à l’écœurement.

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