
« Vous n’êtes pas une bonne personne? » C’était l’une des premières choses que le thérapeute principal de Katherine, Arthur, lui ait dites. « Une fois que vous aurez surmonté ça, vous pourrez peut-être trouver comment être fonctionnelle. »
Arthur avait 60 ans, mais en paraissait plus. On aurait dit qu’il était mort de vieillesse et avait été ressuscité dans le seul but de crier sur des toxicos. De toutes les personnes présentes à Paradise Lake, c’était lui que Katherine détestait le plus, en dépit d’une très forte concurrence. C’était un connard, et il la faisait pleurer à presque chacune de leurs séances. Il lui parlait comme si elle était la pire personne au monde, comme si elle avait noyé des bébés dans une baignoire ou mis le feu à une maison de retraite.
A la fin des années 90, Sara Morgan, une étudiante, est assassinée par son petit ami lors d’une crise psychotique, et retrouvée par une femme au foyer non loin de son université. L’assassin est acquitté, jugé irresponsable au moment des faits, l’affaire est classée, le monde reprend sa marche. Mais la mort de la jeune étudiante laisse des traces dans la vie des gens qui l’ont côtoyée autant que dans celles que son décès a éclaboussé de loin. Les douze chapitres du roman de Nicola Maye Goldberg tentent de saisir la propagation de cette onde de choc jusque dans la vie de personnes qui ne connaissaient pas du tout la jeune femme.
De la femme au foyer ayant découvert le corps à la soeur du meurtrier, en passant par la procureure, une détective privée chargée d’enquêter sur la fugue de la demi-soeur de la victime ou encore un ami d’adolescence, chacun de ces portraits oscille sur une fine crête : qui est le sujet de chaque chapitre ? Le personne dont on parle ou bien la jeune femme assassinée qui lie chaque personnage du recueil ? Est-ce un portrait de la personne (sur)vivante ou bien un portrait en creux de la morte ? Les deux, obligatoirement, semble nous dire l’autrice. Chacun de ces personnages existe en dehors et au-delà du meurtre de Sara Morgan, mais leur histoire ne peut être décorrélée du drame.
Et c’est ce qui fait la force de ce texte, de réunir autour d’une trame commune autant de voix diverses. Chaque personnage possède une épaisseur, une histoire. J’adore quand les auteurices sont capables de nous faire entrer dans la vie fictive d’un personnage créé de toute pièce en quelques pages. Pouvoir se figurer aussi rapidement leur caractère, leur parcours, leur manière de gérer leurs émotions, je trouve cela fascinant. On pourrait penser que l’histoire de Sara Morgan, ou tout du moins les circonstances de sa mort, serait un prétexte pour lier des nouvelles entre elles. Ce serait minimiser la maîtrise du récit de l’autrice. Une fois à la fin du roman, et après avoir passé quelques pages en compagnie d’une Sara Morgan adolescente et inconsciente de qui l’attend quelques années plus tard, on découvre que l’on a une image assez nette de qui elle était, ainsi que de ce qui s’est joué lors de ce soir funeste.
En toile de fond, la traque, l’arrestation et la présence floue d’un tueur en série ayant sévi dans les environs apporte la dose juste de doute et de regrets que l’on peut avoir dans ces cas-là. Ne serait-il pas plus simple que Sara soit la victime de cet homme profondément mauvais ? Plutôt que celle d’un jeune homme socialement intégré, avec des projets et un amour débordant pour elle ? Mais la vie n’est pas arrangeante, et le doute n’est pas permis. Il faudra faire avec la culpabilité du gentil garçon, avec l’absence de condamnation, avec son droit à refaire sa vie. La chaîne de conséquences reliée à ce meurtre est plus longue qu’on ne le croirait au départ.
La lecture donne le sentiment d’assembler un puzzle complexe et malin. Ce n’est pas une enquête, c’est une plongée dans la multitude de vies connectées par un seul événement. C’est un roman assez brillant, qui se lit tout seul dans l’écriture de Nicola Maye Goldberg est fluide et agréable. Tout se met en place rapidement et avec une grande facilité, on croit aux personnages et on aimerait que quelques chapitres de plus viennent faire gonfler ce petit monde si vivant. Je ne sais pas si c’est une manière de montrer que les morts peuvent nous hanter de plusieurs façons, loin des récits gothiques de portes qui claquent ou de visages au fenêtres. Les morts restent quelque part dans ce que leur absence fait aux vivants, dans les trajectoires déviées, dans les pensées que l’on réfrène, les gestes suspendus, les moments d’absence qui nous transportent dans le passé. Les morts sont avec nous, à l’école ou au supermarché, quand on couche nos enfants et que l’on cherche sur leur visage ce qui reste de ceux qui sont partis. Cela à tout à voir avec Sara Morgan, mais aussi rien du tout, car tout s’imbrique comme la vie sait le faire, sans logique, ordre ou explication.
Rien ne pourra t’atteindre. Nicola Maye Goldberg. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Floriane Herrero. Éditions Le Gospel (maison d’édition indépendante). 2025. 196p.
- On écoute quoi aujourd’hui ?
C’est l’ambiance automnale qui me donne envie de réécouter Brigitte Calls Me Baby, flirtant joliment avec l’univers des Smiths.
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