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Un lundi comme un dimanche, la vie douce et le temps qui s’étire paresseusement. C’est juin qui débute et la rumeur de l’été presque là monte à ma fenêtre. Il y a de jolies surprises ce printemps, des moments volés qui mettent un peu de saveur, des rires, des mots chuchotés dans la nuit. Alors je croise les doigts pour que Juin continue de m’apporter du beau, du doux, des fous-rires et le goût de la mer.

Le réveil aux yeux collés par un rêve qui pince le ventre. Un rêve d’anciennes amours, comme une clôture, un rideau qui se tire, un passage de relai et ça y est ça ne m’appartient plus, la page est à nouveau vierge devant mes yeux et je peux y écrire autre chose. En attendant le réveil est lent, pénible, épuisant déjà. C’est le cœur du printemps, j’attends impatiemment de pouvoir retourner explorer le monde, d’aller marcher sur tous les sentiers, respirer la mer. Cette année ne ressemble à rien de connu, elle me fait peur autant que j’ai envie de ne pas la gâcher. C’est l’année où j’écris un nouveau chapitre de ma vie, où j’enterre l’ancien, où je sens de nouvelles choses bouger en moi. C’est le printemps et ça remue, la vieille inertie s’en est allée, j’ai parfois le cœur qui bat un peu plus fort. Vivement l’été.

Roman d’une densité et d’une finesse incroyables, Les Noirs et les rouges d’Alberto Garlini nous entraîne dans l’Italie des années de plomb. Le jeune Stefano Guerra, tout dévoué à la cause fasciste, tue par accident un homme lors d’une manifestation. Son premier fait d’armes le suivra comme une odeur tenace et fera de lui un pion docile, naïf et trop téméraire. Ce roman est un pavé (920 pages) et demande du temps. Mais quelle lecture alors ! C’est brillant, tant dans l’analyse politique d’une époque opaque et complexe que dans les ressorts douloureux qui poussent de tout jeunes adultes à embrasser des causes afin de combler les failles de leur existence. Voyage en Italie avec de petits neo-nazis, ce roman aurait pu disséquer les mêmes ressorts à l’extrême gauche. Comment en vient-on à sacrifier sa vie et son individualité simplement parce que l’on a rencontré certaines personnes et que l’on veut se donner l’impression d’un destin héroïque ? Le roman est également habilement ficelé dans la mise en scène précise d’un système mal compréhensible, mal défini, volontairement flou. Les Noirs et les Rouges ne sont-ils qu’ennemis ? Qui est dans quel camp ? Qui sont les traîtres ? Qui manipule qui ? Je vous laisse le plaisir de découvrir tout cela dans ce roman fleuve, pilier (parmi tant d’autres) d’une culture italienne qui a décidément toujours maille à partir avec son histoire fasciste.

Un vendredi soir comme un dimanche. Je ne sais pas si c’est l’idée de remettre le pied dehors, ou toute cette période étrange qui s’agite au fond de mon ventre qui me met le coeur à fleur de peau. Un vendredi soir comme un orage en dedans alors que je me voudrais calme et tranquille. Un vendredi soir où les bras des gens que j’aime autour de moi me manquent à en mourir. Un vendredi soir où je voudrais boire une tisane avec ma maman, ou m’affaler dans un canapé avec mes sœurs et mon frère, emmêlés dans nos jambes. Un vendredi soir que j’aimerais avec les copains, dans la nuit d’été qui tombe doucement, entrechoquer des bières dans le tintement des rires. Les étreintes reviendront, les mots doux, les joies brillantes et les nuits d’ivresse douce. Reviendront les beaux jours, les doux jours, les fous jours à croquer. Je m’impatiente toujours des bonheurs à venir, je ne sais pas encore goûter ceux qui sont déjà là, dans les détails.

Demain je retourne au travail. J’irai préparer toute la semaine la réouverture de la semaine prochaine. Je suis si impatiente que j’ai l’impression d’être à nouveau la veille de l’ouverture de la librairie. Je rêve de recommencer à travailler depuis le début de ce confinement. Je fais un métier qui m’épanouit tellement, dans un cadre parfait, et aller travailler chaque matin est un bonheur. Cette année, j’ai encore plus investi mon travail, parce que ma vie personnelle était en miettes. Alors après avoir passé 7 semaines seule chez moi, moi qui d’habitude passe mes journées à interagir avec des gens, c’était dur. Dur dur dur. Et j’ai beau aimer vivre seule, l’absence de contact humain réel m’a manqué. Et la librairie m’a manqué, le lieu m’a manqué, ce lieu que je connais par coeur et que je pourrais parcourir les yeux fermés. Les clients m’ont manqué, mes collègues m’ont manqué, la musique qui passe en fond m’a manqué, et les cartons à ouvrir les paquets à faire les rencontres à prévoir même la compta je vous jure même la compta. Alors vite vite demain je reprends le chemin de l’école, je vais préparer tout pour que ça soit beau et bien quand on rouvrira. (dites, après deux mois de lectures et un peu de tri, la PAL a bien baissé n’est-ce pas ?) (et le mur est tout vide à cause du dégât des eaux. Joie bonheur)

Depuis le début de cette période étrange, j’ai un corps. Je danse, des heures entières dans ma cuisine et ma salle de bain, casque vissé aux oreilles, je fais du yoga presque tous les jours, je découvre des bouts de moi, par la douleur, par le travail, par le plaisir de le voir évoluer au fil des jours. Un peu plus de souplesse par ici, de nouveaux territoires vierges par-là. J’ai un corps et je l’avais abandonné depuis plus de neuf mois, nié, laissé de côté. Je n’en voulais plus, il m’encombrait, me rappelait trop de souvenirs d’un temps où je le partageais, il me dégoûtait d’être là si présent et inerte, et si j’avais pu vivre seulement en pur esprit, une vie cérébrale seulement, sans rien qui fasse mal, sans coup au coeur, au ventre, sous les yeux. J’ai un corps, il m’a fallu du temps pour m’en souvenir, pour le réapprivoiser, gommer les traces des autres laissées ici et là. J’ai un corps et je l’aime, et je n’ai pas fini de le découvrir.

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