
Deux frères, un deuil, une rencontre amoureuse, une double relation et des parties d’échecs. Voilà ce que l’on peut trouver factuellement dans Intermezzo. Prenez cela comme les contours du roman. Entre ces contours, la saisissante précision de Sally Rooney qui vise juste à chaque ligne. Depuis Normal People, l’autrice irlandaise ne cesse de me surprendre par sa capacité — relevant pour moi du génie — à décrire en peu de mots des émotions universelles mais incroyablement précises.
Sa narration efficace alterne les points de vue entre Ivan, Peter et Margaret. Elle se moule à leur esprit, entre fil de pensée structurée et flux de conscience bouillonnant où la détresse émotionnelle du personnage est marquée jusque dans le style. On cerne les personnages par leur narration, par l’écriture qui leur est échue et qui leur apporte une densité. Le temps du récit est court, quelques mois seulement, et tend à marquer la période de chamboulements émotionnels possibles après un deuil, lorsque les structures familiales sont ébranlées et que la perte d’un parent contraint la génération d’en-dessous à entrer dans son rôle d’adulte.
Ce roman prodigieusement intelligent — je n’accepterai rien de moins — questionne ce que c’est que d’être un être humain traversé d’émotions contradictoires, de paradoxes, d’angoisses existentielles mais aussi d’un amour immense qui ne cherche qu’à se déployer. C’est peut-être la question qui irrigue Intermezzo. Comment aimer ? Loin d’un sentimentalisme larmoyant, Sally Rooney vient accrocher son récit à nos aspérités pour nous rappeler que, sans cesse, nous essayons de répondre à cette question. Et qu’il n’est possible d’y répondre qu’en tentant, de manière souvent désordonnée, chaotique et brutale — pour nous-mêmes et les autres. Elle tente de définir les contours de nos aspirations à l’amour, c’est beau, c’est fort, cela vient forcément cogner violemment à des endroits fragiles en nous, on voudrait que cela ne s’arrête jamais.
Intermezzo. Sally Rooney. Traduit de l’anglais (Irlande) par Laetitia Devaux. Gallimard. 2024. 460p.
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