
« L’effroi est un vieil homme en claquettes qui tripote les enfants pendant que les autres prient.«
Il y a dans la littérature d’Amérique latine quelque chose qui me fascine. L’agrégation de l’impie et du sacré formant un ensemble d’une époustouflante cohérence. Avec le réalisme magique, le miracle tient tout autant du divin que du monstrueux. Natalia Garcia Freire nous avait déjà horrifié.es avec Mortepeau, un récit où la terre grouillait d’insectes et où la lecture ressemblait plutôt à une transe, une fascination.
Avec « Tu as amené avec toi le vent », l’expérience de lecture se répète, entre cauchemar éveillé et paraboles mystiques. Et si le coup de coeur n’a pas été total, j’en ressors un peu hébétée, à l’image des habitants de Cocuan, ce village perdu d’Equateur où des événements étranges et terrifiants vont se produire. Tout démarre lorsque la jeune Mildred se retrouve seule dans la maison familiale, entourée des bêtes. Les villageois veulent absolument la faire sortir de la maison et redescendre avec eux, quitte à brûler la maison et enfermer la fillette dans le presbytère. Ce qui s’ensuit, c’est un mystère. Mais plusieurs années après cet épisode d’une grande violence pour l’enfant, Cocuan est en proie à d’étranges accès de folie, des disparitions, des morts. Le vent traverse le village, comme s’il portait en lui la colère de Mildred, et ce sont neuf personnages qui vont nous livrer leurs visions cauchemardesques.
« Elle avait honte de nous. Il faut dire qu’elle avait mis au monde trois femmes, autrement dit trois colombes, trois étoiles de mer ou je ne sais trop quoi, en tout cas trois animaux inutiles. »
Tous les symboles sont là, il y a le sacré, le sexuel, l’impur, les malédictions, les prophéties, les sacrifices et les superstitions. On entre dans Cocuan en se sachant maudit, et la lecture accompagne les villageois à la recherche de celles et ceux qui sont partis, rendus fous par le vent, par une volonté qui les dépasse. Il y a les violences aussi, celles faites aux femmes, aux filles, et qui semblent à l’origine de la malédiction. Gare à ceux qui délogent les fillettes de leur foyer pour les enfermer dans leur église, nous susurre le texte à l’oreille.
« J’ai pris le feu dans mes mains parce qu’il me soulageait, qu’il était chaud et que j’étais comme ça, prête à me perdre une bonne fois pour toutes. Comme si j’étais dans un bûcher avec mille hommes sans visage. »
Et si le coup de coeur n’a pas été au rendez-vous, le décor reste vif sous mes paupières, l’atmosphère générale de folie et de poussière, de sang et de pluie de pisse. C’est un texte qui s’inscrit dans une tradition littéraire plus vaste et qui y a sa place.
Tu as amené avec toi le vent. Natalia Garcia Freire. Traduit de l’espagnol (Equateur) par Isabelle Gugnon. Editions Bourgois (maison appartenant au groupe Madrigall), 2025. 154p.
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