
Il faut attendre le jour du résultat. Il faut attendre, l’aiguille dans le bras, le sang, le chiffre qui dit ou ne dit pas. Il faut attendre mais je n’attends pas et je suis dans la salle de bain, assise avec entre mes mains le batônnet, je le regarde comme s’il allait prendre feu, comme si je pouvais convoquer le résultat sur la seule force de ma volonté. J’attends un peu, les deux traits qui ne viennent pas, le trait unique qui reste là à ne faire rien. Et dans cette arrivée manquée du deuxième trait j’abandonne l’endurance et la force, l’espoir qui me maintenait, tendue, droite et ancrée dans l’hiver qui me mord. Et cet abandon, la répétition de cet abandon, fait crever en moi une énorme poche de chagrin qui se répand sur mon corps, à mes pieds. Plus rien n’existe que le nid amer dans lequel je me couche. Je m’y roule, je m’y noie. Je vais marcher, dans les rues du samedi matin je me dis je n’ai pas l’énergie de continuer non vraiment je ne pourrais pas plus pas plus loin retourner là-bas encore une fois les aiguilles les rendez-vous le calendrier attendre attendre attendre non je ne peux plus je le sais. Alors si j’arrête, quoi. Et l’idée, l’idée même, effleurée, du ventre à jamais vide, de la chambre à côté pas occupée, de l’appartement toujours rangé rien que pour moi, c’est un vertige. C’est un vertige et je voudrais mourir, là – immédiatement- dans la rue pour penser qu’il me reste encore quoi, cinquante ans, plus peut-être, et dans ces cinquante ans tant de choses mais pas ça ? Non, je ne peux pas. En thérapie on m’a demandé de réfléchir à l’abandon. Au fait que c’était parfois gagner. Et là je ne sais pas, abandonner c’est mourir, en dedans au moins, c’est éteindre mon feu. Et continuer c’est m’abîmer, un peu à chaque fois. Pour peut-être un jour me dire que ça valait la peine – ou bien, je ne veux pas y penser, non, mais pourtant il le faut, c’est là, c’est une donnée statistique – ou alors essayer jusqu’au bout pour que ça ne marche peut-être jamais.
J’ai laissé les bras de M et T me serrer si fort que j’aurais pu sentir mes os craquer, dans la vitrine de la petite boutique magique on a mangé joyeusement, c’était encore l’hiver dehors mais la lumière était partout. J’ai laissé le soleil, cette grosse bête, me chauffer le dos et comme une marée, j’ai laissé l’espoir remonter sur mes plages. Je me suis rassemblée, épuisée mais plus calme. Je me suis souvenue de mon nom, des trésors contenus dedans, que j’étais faite de matins d’été, de rires en grelots, de cette énergie de faire -inépuisable-, d’une douceur opiniâtre à déverser sur le monde. Et qu’il fallait attendre alors j’attendrais, et que dans cette attente je mettrais tout, mais surtout la joie. Ce matin l’aube est jaune, rose, violette. Elle éclate à mes yeux comme un printemps timide, une promesse. Dans les sapins les écureuils n’en peuvent plus de jouer. Il faut attendre, demain, l’aiguille, le sang, le chiffre qui dit ou ne dit pas, il faut attendre que l’on me dise ce que je sais déjà. Que le corps est vide, cette fois encore, même s’il me déborde de larmes, étourdi de signaux contradictoires. On supportera l’aiguille, on lira le chiffre et on recommencera. Encore, et encore, et encore. Comme on ne cessera jamais de croire à l’arrivée du printemps, au retour des aubes dorées sur la mer. On fera, inlassablement.
On écoute quoi aujourd’hui ?
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