Hey les cools kids, rendez internet aux weirdos

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Ce texte a initialement été publié sur Substack, en tant que newsletter. Vous pouvez d’ailleurs vous y abonner.

(Moi retournant à la vie simple en quittant les réseaux sociaux traditionnels)

Je préviens, je n’ai aucune idée de ce dans quoi je me lance, mais je vais essayer d’être sympa et de structurer ma pensée du mieux possible. Si cela fait plusieurs semaines que je repense drastiquement mon rapport à internet et aux réseaux sociaux, il a fallu que je me sépare d’Instagram pour mettre en application ces réflexions, et alimenter mes idées. N’ayant plus la tentation de poster plusieurs stories par jour (je continue de faire des blagues sur Mastodon mais ça n’est pas pareil), j’ai vu, écouté, mangé, fait des tas de trucs que je n’ai pas partagé, et si souvent je me suis dit “tant mieux car le monde s’en fout”, à d’autres moments j’ai gardé en mémoire des choses que j’avais envie de partager à qui cela pouvait intéresser. Je ne vais pas faire un article dès que j’ai envie de parler d’un truc, donc pourquoi ne pas condenser un peu tout ce bazar dans une sorte de newsletter. Ce me semble être le bon compromis entre la forme plus classique et stricte des articles, voués à rester dans le temps, et les stories très éphémères. Un moyen de papoter avec vous. Mais peut-être est-ce voué à l’échec, nous verrons bien, et en avant Jamy car j’ai une tartine à vous faire alors accrochez-vous à vos slips.

D’abord une réflexion sur Internet

Et promis je ne vais pas faire ma reloue qui cherche à tout prix à vous faire quitter Meta (je le fais à d’autres moments et ailleurs), MAIS : j’ai l’impression d’être Quentin, 36 ans, qui a découvert la course à pied et veut absolument pousser ses proches à aller sur Strava. J’aimerais me réfréner, mais, force est de constater que je suis incroyablement heureuse d’avoir quitté Instagram. Si mon temps d’écran s’est pas mal réduit, j’ai surtout annihilé le bruit de fond de mon cerveau. J’ai découvert des endroits d’un calme presque effrayant et où le contenu fait couiner de joie chaque parcelle de mon cerveau avec des goûts très spécifiques. Sur Substack, j’ai l’impression de vivre ma meilleure vie de Sylvianian, et sur mon blog, d’avoir à nouveau 16 ans. C’est grisant.

(On my way to read 52 newsletters)

(Ne partez pas tout de suite, j’installe le contexte mais j’ai vraiment des trucs à dire)

Naviguer dans cet internet différent, les blogs, les sites, commenter des articles etc, cela m’a pas mal rappelé le bon vieux temps de mon adolescence. Je me rends compte que la qualité des échanges que j’ai avec les gens s’est améliorée, je prends le temps (de lire, de partager, de découvrir, de commenter, de développer ma pensée, de m’intéresser aux gens en face de moi) et surtout je redécouvre une forme de vulnérabilité que je ne trouvais plus ces dernières années dans l’espace numérique. Je pense que cela germait quelque part dans mon esprit, en jachère, mais c’est une discussion avec mon copain Gauthier qui a fait tilt – y’a pas de saison pour une épiphanie- et qui m’a donné envie de vous raconter tout ça. Avant, et quand je dis avant c’est avant l’arrivée de l’uniformisation des contenus, de la préséance de l’internet marchand, des visuels professionnels à l’extrême : BREF, avant qu’Instagram nous donne l’impression que seulement les gens beaux qui vivaient une vie mieux que la nôtre avaient le droit de poster pour nous conseiller d’acheter des trucs, internet était un repère de weirdos.

Adolescente, je n’allais pas trop à des fêtes, je passais mes soirées sur MSN avec mes copines, on écrivait sur nos blogs une mise en scène à la fois mignonne et gênante de l’intime, on faisait des photos assez laides, on créait des amitiés étranges, on se sentait le droit de simplement exister là, et si l’on performait c’était dans une tentative exploratoire de nos imaginaires créatifs.

Votre humble servante vers ses 16 ans ish (au vu des Annabac sur le bureau)

Internet n’appartenait pas aux cools kids et j’aimerais que ce soit à nouveau le cas. Gauthier, qui est terminally online comme il le dit lui-même, et a donc vu tout ce que le web contient, m’a partagé plusieurs vidéos qui ont fait mouche à ce sujet. Je ne vais pas aujourd’hui m’étendre trop sur la question de la vulnérabilité, du cringe et de la nécessité de leurs présences dans nos vies – afin de ne pas crever de manque d’humanité par exemple- mais j’y reviendrai, c’est certain, car ça me travaille.

La première vidéo est celle d’un morceau d’Aphex Twin qui cumule 11 millions de vues, et où les commentaires sont ceux de personnes qui viennent là uniquement pour partager quelque chose de personnel, d’intime, de doux, de triste. Comment cette vidéo a pu dépasser son statut initial pour devenir un espace, je n’en sais rien, mais savoir que cela existe me bouleverse.

I’m about to leave for a 9 month solo backpacking trip around Asia and Australia, spending the last half year of my teenage life on a completely alien side of the planet. I’ve never done anything like this before, my flight leaves in 4 hours. I’m still in bed, unable to sleep, my mind is too busy thinking about all the wonderful possibilities that the uncertainty of the future has to offer.1

Voilà l’un des commentaires, un parmi tant d’autres. J’aimerais avoir quelque chose de construit à vous dire à propos de ce ressenti étrange, aussi enthousiasmant que nostalgique, qui m’assaille quand je pense à ce que nos espaces numériques ont à nous offrir, la place qu’ils nous donnent au monde. Je crois que je suis fatiguée d’avoir l’impression que la représentation de soi appartient uniquement à celleux que les injonctions sociétales valident. Combien de personnes n’osent pas s’emparer d’Internet par peur de n’avoir rien d’intéressant à dire, rien de beau à poster, rien de suffisamment bien pour être validé par le post-capitalisme (on a apparemment oublié qu’à la base Instagram nous servait à poster nos photos de vacances). J’ai envie que l’on revendique toustes un internet un peu mal branlé, un peu gênant, où la densité de nos passions bizarres, de nos intérêts étonnants, de nos sensibilités à vif puissent s’exprimer.

Pause musicale, car ça commence déjà à faire un gros morceau. C’est super, j’ai découvert ça chez Maximum Entropie.

La vulnérabilité, et la douceur, bordel.

Donc, la vulnérabilité. C’est l’une des seules choses pour lesquelles je me batte, dans ce monde de chiens. Je suis persuadée que si tout le monde s’autorisait à être plus vulnérable, l’empathie serait sauvée, et pourquoi pas le monde avec. Deuxième vidéo donc, attention elle est réservée aux professionnels des émotions fortes, comme le cringe (même si je pourrais disserter deux heures, et je ne le ferai pas, sur pourquoi je considère que le cringe n’existe pas vraiment et que c’est juste notre peur de la vulnérabilité, la boucle est bouclée les ami-es). Je ne peux pas vous dire pourquoi, mais elle me transperce. En fait je crois que j’avais besoin de me souvenir que si on lâche un peu la bride des codes sociaux, on est des weirdos, mais des weirdos contents de se sentir vu-es, et reconnu-es par leurs pairs. Et ça me met en boule que cet endroit (que je considère vraiment comme chez moi car j’ai grandi avec cet internet en construction) que l’on a revendiqué haut et fort, soit devenu l’apanage d’un groupe social normé, privilégié, et là pour nous ôter notre légitimité à nous emparer de ces espaces. DONC, et j’en finis là sur ce sujet, mais j’y reviendrai peut-être et qui m’arrêtera ? “Les cools kids, rendez internet aux weirdos”.

Interlude : Dernière vidéo envoyée par Gauthier, c’est un peu moche, mais c’est beau, c’est poétique, c’est musicalement génial. Je pense que ces arguments vidéos valent mieux que mille mots, vous comprenez probablement ce que ma pensée limitée cherche à exprimer quand je parle d’une nécessité de valoriser la fragilité, au détriment de la performance et de la posture.

Des livres, mais juste un peu

Parfois je lis des trucs, et c’est bien, mais pas suffisamment pour que j’aie envie d’en faire un post consacré. Ou alors je n’ai pas le temps, ou alors je n’ai pas le bouquin sous la main pour vous faire de jolies photos avec des fleurs.

Peur de mourir, mais flemme de vivre, de Salomé Lahoche (éditions Exemplaire)
J’aime énormément l’humour de Salomé Lahoche, que je considère comme une véritable punk. Ici elle signe un album absolument hilarant, c’était génial, j’ai gloussé comme une pintade. Mais ce qui fait son humour,et son génie à mes yeux, c’est sa maîtrise de la narration. Elle sait comment raconter une histoire, elle a le sens de la formule, l’ironie mordante qui fait mouche. Il y a deux niveaux de lecture (c’est drôle mais c’est surtout pas du tout drôle), et c’est une manière d’aborder la vie qui me parle.

Mourir en juin, d’Alan Parks (éditions Rivages)
Le petit roman policier annuel d’Alan Parks, où l’on suit ce brave Inspecteur McCoy dans un Glasgow aux mains de la pègre. Ca fleure bon les années 70, on se laisse séduire par le rythme habituel (ça boit des coups, ça se fait casser la gueule, ça mange indien et ça papote avec les clochards du coin), toujours une bonne mouture mais pas de quoi vous en parler pendant trois ans. C’est comme une bonne vieille paire de chaussons, on sait pourquoi on aime ça.

Bienvenue Mister Chance, de Jerzy Kosinski (éditions du Typhon)
Une nouvelle traduction d’un roman paru en 1970 sur un homme qui a toujours vécu au sein d’une propriété et doit la quitter à la mort de son propriétaire. Il n’a jamais vu personne d’autre, ne sait pas lire, mais possède une passion pour la télévision. Son obligation à côtoyer les humains environnants révélera à la fois sa naïveté, son bon sens, mais aussi l’abominable tendance des gens à entendre ce qu’ils veulent, comprendre ce qu’ils veulent mais aussi à construire des mythes sur du vide. Une belle critique sociale, bien menée, fine, et présentée dans un objet vraiment beau (comme tout ce que font les éditions du Typhon.)

D’autres trucs en vrac

  • Pour compléter mon article sur la photographie post-mortem, je vous laisse aller lire celui du Lucidoscope , attention toutefois car les photographies sont dans le corps de son article, âmes sensibles s’abstenir.
  • Mercredi 5 mars à la librairie (toutes les infos sont ) je reçois Cécile Cayrel pour parler de son nouveau roman “Aveu de tendresse” (j’en écrivais des trucs par ici)
  • A L’Antipode jeudi 13 mars il y a un super concert de Friedberg et je pense qu’il reste des places (moi j’y vais et j’ai bien hâte)
  • Je crois avoir réussi à trouver la meilleure combinaison d’ingrédients pour faire un truc qui ressemble à une sauce pad thaï maison, un truc dans lequel faire mariner des crevettes par exemple, si vous voulez avoir une expérience gourmande de la vie : huile d’olive, citron vert, ail, pâte de tamarin, pâte de piment, sirop d’agave, vinaigre de riz, gingembre râpé, cacahuètes concassées et non je ne donne pas les proportions car je cuisine au pif je suis pas non plus Cyril Lignac, merde.


C’est tout pour aujourd’hui, merci pour votre endurance. Je ne savais pas où j’allais en partant, et je ne sais toujours pas où je suis. Faites attention à vous, et soyez bizarres.

  1. « Je suis sur le point de partir pour un voyage solo, sac au dos, de 9 mois en Asie et en Australie, pour passer la dernière année et demi de mon adolescence sur un côté totalement étranger de la planète. Je n’ai jamais fait quoi que ce soit comme cela avant, mon vol part dans 4 heures. Je suis toujours au lit, incapable de dormir, mon esprit trop occupé à penser à toutes les formidables possibilités que l’inconnu du futur a à offrir.” ↩︎

2 réponses à « Hey les cools kids, rendez internet aux weirdos »

  1. Avatar de Lucide
    Lucide

    Je me trouve présentement physiquement dotée d’un calme olympien devant mon PC (et non pas mon smartphone) mais dans ma tête je hurle : « OUI ! VOILÀ ! C’EST ÇA ! Rendez l’Internet aux weirdos bon sang de bonsoir ! » Vraiment, quelle révolte. Je n’ai que de l’espoir.

    Et je te remercie beaucoup d’avoir ouvert le chemin vers mon article sur la photographie post-mortem, c’est un honneur.

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    1. Avatar de Sol

      Je crois que c’est quelque chose que j’aimais immensément avec les blogs d’avant, c’est de faire des liens, entre les gens, les sujets, les espaces. De glisser partout des choses sur lesquelles cliquer pour étendre une pensée, amener des découvertes. L’interface 1 personne face à des milliers d’autres et une relation à sens unique, ça ne me parle pas. Alors qu’un maillage serré, une communauté de gens qui se voient, se répondent, se considèrent, voilà ce qui me plaît dans ce que les blogs peuvent offrir =)

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