
C’est devenu une sorte de rituel, quand je pars en vacances je glisse dans ma valise une petite romance en anglais. Je soigne mon coeur d’artichaut avec des histoires calibrées, où tout finira bien, et je retrouve un mélange d’émotions qui me fait remonter le temps. Et pour fêter mes vacances de presque printemps, j’ai mis dans ma valise How To End A Love Story de Yulin Kuang. Le roman vient de sortir en français, et je me suis dit que ce serait pas mal de voir de quoi il retournait.
Les codes de la romance sont assez simples, et pour celleux qui n’auraient jamais mis un pied dans ce monde plutôt fascinant de la performativité des relations amoureuses et du désir, il existe ce qu’on appelle des « tropes ». Un trop est un schéma narratif récurrent, et la romance en regorge. Friends to lovers, ennemies to lovers, small town romance, age gap, fake dating, grumpy vs sunshine etc etc. L’un de mes tropes favoris est le « ennemies to lovers », c’est à dire deux personnages qui à la base ne peuvent pas se sentir, pour des raisons diverses, et qui à force d’une obligation de se côtoyer, ou d’un deal entre eux, vont, et quelle surprise vraiment je suis choquée, développer des sentiments amoureux.
Dans How To End A Love Story, la raison de la détestation des personnages est assez simple : Le protagoniste masculin a accidentellement tué la soeur de la protagoniste féminine pendant leurs années de lycée. Rien que ça. Alors quand j’ai commencé le roman et que j’ai découvert l’ampleur du machin, j’ai eu une bonne vieille réflexion de boomeuse : Est-ce que toute cette histoire de romance ne va pas trop loin ? Est-ce que ça n’était pas MIEUX AVANT, quand on avait des personnages qui se détestaient au travail parce que l’un était hautain et froid ou qu’il existait une rivalité professionnelle entre eux. Avait-on réellement besoin de pousser le curseur aussi loin (il a tué sa soeur quand même) pour créer une animosité entre deux personnes. Je suis sûre que je peux trouver deux trois raisons de détester des gens très mignons sans qu’ils aient besoin de contrevenir aux lois de la République ET de la morale. J’en étais là de mes étonnantes réflexions passéistes lorsque l’illumination de la raison jaillit sur moi sous la forme de : « Dis-donc espèce de vieille conne (on travaille encore sur le vivre ensemble avec soi-même), t’as beau avoir une licence en Lettres, t’aurais pas un peu oublié les schémas récurrents des TOUTES les tragédies depuis l’Antiquité ? »
Oui, ça fait des siècles que la littérature regorge de relations amoureuses impossibles car des personnages ont tué (souvent sans faire exprès, on n’est pas des bêtes) des proches de leur intérêt romantique. Alors je ne suis pas là pour comparer le roman de Yulin Kuang au Cid de Corneille, mais force est de constater que plus la barrière des conventions morales est haute, plus le degré de tension s’adapte. Nos personnages sont forcés de travailler ensemble après des années sans se croiser, évidemment il est charmant comme seul peut l’être un homme écrit par une femme (on va continuer de justifier un peu le nom de ce blog) et l’autrice apporte une très jolie réflexion sur deux sujets complexes : le deuil (et notamment le deuil lié au suicide) et les injonctions très fortes dans des familles bi-culturelles (ici comment se vivre en tant que fille aînée sino-américaine). Comme de bien entendu, le personnage féminin est un peu rigide, un peu coincé, soumis à une kyrielle de contraintes auto-imposées tandis que l’autre mariolle de protagoniste masculin est une version sur deux pattes d’un Golden Retriever.
Et c’était super chouette. Encore une fois, on n’est pas là pour révolutionner la littérature, on est là pour vivre par procuration une histoire d’amour balisée, nous donnant l’impression d’avoir à nouveau 16 ans. Ils finiront ensemble, pas de raison de s’inquiéter à ce sujet, mais en attendant on a 375 pages pour voir la tension s’installer, taper des pieds sous sa couette dès qu’une étape du jeu de séduction est franchie et regretter d’avoir emmené le roman dans les transports en commun lors des (nombreuses) scènes de sexe – nous confirmant que l’hétérosexualité n’est jamais aussi bien que dans la fiction. On a ce qu’on était venu-es chercher, c’est super. Par contre, en comparant la version que j’ai lue à la version française, lue par ma collègue, j’ai réalisé que c’est un genre que je lis exclusivement en anglais, et qu’il m’était impossible de m’y confronter en français. J’ai regardé la traduction d’une scène réservée à un public majeur, mon réflexe vomitif s’est mis en route tout seul comme si j’avais avalé des cheveux. (que voulez-vous, il est beaucoup plus facile à mes yeux d’être une good girl qu’une bonne fille (yuk, rien que de le dire je vis le cringe au plus profond de ma chair)).
Alors, je ne vous ai pas tant parlé du roman que de tout ce qu’il y a autour, c’est ma manière de faire, portez plainte si ça ne vous plaît pas, mais surtout il y a peu d’intérêt à parler de l’intrigue en elle-même, on a pris une structure classique et on lui a mis de nouveaux petits vêtements. C’était bien, c’était ce pourquoi j’y allais, et si vous avez envie d’un peu de love et de tension dans une writer’s room hollywoodienne eh bien vous savez vers quoi vous diriger. Et pour une fois, il est accessible aux lecteurices francophones dans une version traduite.
How To End A Love Story. Yulin Kuang. Hodder & Stoughton. 2024. 372p.
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