Greta & Valdin, de Rebecca K Reilly

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« ‘Hello, I’d like to pick up a package,’ I say, in what I hope is a bright and friendly voice.
She looks at me like this is the dumbest fucking thing anyone’s ever said to her. She has her hair gelled back in the tightest bun. I’ve put gel in my hair before, but I looked creepy and scared myself. I looked like Bela Lugosi. »

Greta et Valdin Vladisavljevic sont frère et sœur. Ils partagent un appartement en Nouvelle-Zélande et naviguent à vue dans cette vie d’adulte qu’ils apprennent à manœuvrer tant bien que mal. Valdin se remet mal d’une rupture amoureuse, il vient de quitter le travail pour lequel il a fait huit ans d’études car il le rendait malheureux et a depuis l’adolescence des TOC qui lui prédisent les plus grands malheurs s’il ne fait pas exactement les choses comme elles doivent être faites. Il est gay, déprimé, bref, vous voyez le topo. Greta, un peu plus jeune, essaye de se défaire de son obsession pour une de ses collègues de travail qui la mène en bateau depuis plusieurs mois. Elle est doctorante, toujours fauchée, fendant les eaux de son existence avec l’étrange panache de celleux qui réfléchissent beaucoup trop aux moindres détails de leurs vie.

Autour d’eux, à la manière de personnages d’une pièce de Tchekhov, les parents : un scientifique russe dégingandé aussi attachant qu’étrange, une mère maorie, un oncle homosexuel et son conjoint catalan, un frère distant mais pas tant, sa femme (qui s’appelle aussi Greta mais que l’on appelle « l’autre Greta »), une nièce cinglée mais mignonne car c’est une enfant, un neveu adolescent en pleine crise existentielle, je vous en laisse encore quelques uns à découvrir mais sachez qu’iels sont toustes aux petits oignons. L’histoire ? Simple, on débarque dans la vie de Greta et Valdin à un moment de leur existence et on les abandonne environ un an plus tard. Et si au terme de ce compagnonnage littéraire nos personnages ont pas mal changé, je crois que nous aussi, inévitablement.

« ‘There’s no way of knowing.’
‘She knew, and she just let you be weird anyway’
‘Yes. She asked me how I felt. I said I thought she was an upstanding citizen and that she would go on to do great things.’
‘I can’t believe at the beginning of this story I was concerned it was going to be too sexual.’ »

Il y a tant de choses dans Greta & Valdin que je ne sais pas si je réussirais à saisir la densité de ce roman pour lui rendre justice. D’autant plus que c’est une densité qui ne se voit pas. Rebecca K Reilly dit beaucoup sans avoir l’air de trop y toucher, au travers de quelques dialogues elle englobe l’état général de ce qui peut nous traverser lorsque l’on entre dans l’âge adulte. La découverte de certains secrets de famille. Alors que l’on grandit et que notre conscience s’éveille pour nous faire réaliser que nous ne sommes pas seul-es, que les gens qui nous entourent ne sont pas des personnages non jouables et que nous ne sommes pas le personnage principal de la vie des gens qui vivent autour de nous, nous nous intéressons aux histoires, aux secrets, aux ressentis de celleux qui ont tracé leur sillon avant nous, ou qui évoluent à nos côtés. L’autrice sait très bien saisir ce sentiment que la découverte d’événements importants (ou non) peut générer : la stupéfaction de ne pas déjà être au courant (comment ai-je pu passer à côté de cette information ?), l’envie d’esquisser plus précisément les contours de nos proches (cette personne n’est pas un personnage secondaire de mon histoire) et le sentiment d’appartenance à une histoire plus large (comment me positionner / comment cette information m’affecte-t-elle?).

Elle sait également saisir la complexité de se construire en ayant en héritage plusieurs cultures, plusieurs manières d’aborder l’existence. Ici, le père de Greta et Valdin est extrêmement russe, c’en est un ressort aussi comique que brillant. Et la question de la culture maorie en Nouvelle-Zélande est primordiale. Elle permet à l’autrice de s’emparer des sujets relatifs au racisme, à la colonisation. Elle joue énormément (et toujours avec une hilarante finesse) à retourner des stigmates. La plupart des personnages de ce roman sont queers, ou racisés, ou ont fui leur pays pour des raisons politiques. Il y a très peu de personnages masculins blanc cis-hétéro privilégié. Sauf un type dans le groupe d’ami-es de Greta, le compagnon d’une des filles. Personne n’arrive jamais à se rappeler de son prénom, et il est toujours défini par sa couleur de peau « white guy« , alors que celle-ci n’est jamais évoquée pour désigner aucun autre personnage du roman.

« ‘She’s hot too,’ Holly says in a low voice, like we’re just a couple of bros having a smoke around the back of the pub, leaning on a fucking Subaru or whatever it is men do. ‘She’s Slovakian.’
I want to kick the cover off the manhole I’m walking over and fall into it. I bet Sonja’s last name is something good that fits on forms, like Jovich or Bobkov. I imagine her on the phone, being hot, saying, ‘Yes, that’s right, B-O-B-K-O-V.’ She’s never once been prone on her kitchen floor while shouting at some poor person on Studylink, ‘No, V for Victor, L for lanyards, A for… aneurysm, D for … a didactic approach – hang on, only eleven more letters – I for Icarus, S for Susan Sarandon-‘ »

Mais ce qui m’a surtout émerveillée dans ce roman, c’est la balance toujours subtile entre un humour acéré, le genre qui fait rire à voix haute avec un petit grognement de nez façon cochon, de super punchlines, un sens de la répartie que j’envie autant que j’admire, ce type d’humour un peu à froid, stoïque, pince-sans-rire, mais également la chaleur de personnages terriblement attachants, vulnérables, touchants dans leur fragilité. Il y a une tendresse et une honnêteté brutale dans les dialogues qui m’ont serré la gorge, ainsi qu’une lucidité et une analyse des ressentis des personnages qui m’ont fascinée. Greta m’a fait penser à une version lesbienne de Fleabag, ce qui est un gage de grande qualité, et c’est avec un petit pincement au coeur que j’ai laissé la famille Vladisavljevic retourner à leur vie et moi à la mienne.

Je n’ai pour le moment pas vu passer d’information sur une traduction potentielle en français mais si jamais quelqu’un du monde de l’édition passe par ici (on ne sait JAMAIS), vraiment, VRAIMENT, je l’enjoins à lire ce texte et à lui donner l’opportunité d’être lu par le public francophone.

Greta & Valdin. Rebecca K Reilly. Penguin. 2025. 323p.

On écoute quoi aujourd’hui ?

Les trop cools Panic Shack et le génialissime clip de Girl Band Starter Pack. Vu que je vais passer six mois à flex de les avoir vues en concert dans une salle ultra chouette de Manchester, à remuer la tête en rythme collée serrée à des anglais ivres, clairement l’une des meilleures expériences de ma vie, autant faire partager un peu la joie et le peps.

4 réponses à « Greta & Valdin, de Rebecca K Reilly »

  1. Avatar de Maude
    Maude

    Bonjour ! Merci d’avoir rédigé cette critique, tu donnes vraiment envie de le lire 🙂 Je le garde dans un coin de ma tête, pour la prochaine visite dans une librairie anglophone.

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    1. Avatar de Sol

      Il y a aussi des librairies francophones qui ont de cools rayons en VO !

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  2. Avatar de Sunnh
    Sunnh

    Hii je l’ai vu à la librairie (en français) et l’ai aussitôt emporté, me souvenant de ton article élogieux! J’ai adoré. J’ai beaucoup ri. Et je trouve que tu en parles très bien: ce roman évoque une multitude de sujets sans en avoir l’air. Bon évidemment la VO est sans aucun doute un cran au-dessus, mais honnêtement la traduction n’est pas du tout mauvaise. Merci pour la découverte ❤

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    1. Avatar de Sol

      Oh je suis super contente que tu aies aimé, et d’avoir ton retour sur la traduction. J’ai jeté un oeil et elle me semble plutôt pas trop mal, en effet !

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