
C’est le jour, le jour de la rencontre, le jour du blottissement dans mes plis, j’en suis sûre c’est aujourd’hui ça ne peut pas être autrement. C’est lundi et c’est le quinze, c’est un bon nombre, c’est le milieu de quelque chose et le début à la fois. Quand je suis passée à la pharmacie, il n’y avait plus les vitamines habituelles pour la préconception, alors j’ai pris celles pour la grossesse. Comme un encouragement, une invitation. Je me suis mis en tête qu’aujourd’hui ça n’était pas un essai, c’était le jour où je tombais enceinte. Le jour dont je me souviendrai et dont je parlerai à mon enfant. Je pourrai lui dire « c’était un lundi et je suis allée à l’hôpital parce que j’avais rendez-vous avec toi. Tu n’étais pas plus grand qu’une infime poussière, mais tu prenais déjà toute la place dans ma tête et dans mon coeur et je savais, je savais qu’aujourd’hui on se rencontrerait ». Je me suis regardée dans le miroir en sortant de la douche et quand je me suis dit « c’est aujourd’hui » j’ai senti mon nez me piquer et mes yeux s’embrumer un peu. J’ai fait le sourire que je fais quand je suis émue, un sourire un peu crispé, sans les dents, un sourire qui me fait ressembler à ma soeur. J’ai ouvert le tarot et j’ai tiré une carte et j’étais déterminée à trouver une bonne nouvelle dans tous les tirages possibles. Si l’auspice était mauvais, je ne l’écouterais pas. S’il était bon par contre… Plusieurs fois, la semaine dernière, assise à mon bureau en écrivant mon journal, je me suis demandé comment ça serait, bientôt, quand dans la chambre en face dormirait le minuscule enfant, quand je serais livrée à moi-même des nuits entières, à moi-même et à sa terrifiante vulnérabilité. Je me suis dit que je resterais probablement adossée au seuil de sa chambre à écouter sa petite respiration, que j’avancerais à tâtons dans le couloir pour ne pas faire grincer le parquet, que je serais sûrement désemparée et heureuse, trop fatiguée pour mesurer mon bonheur mais que j’y arriverais. Qu’on y arriverait, à deux, l’une et l’autre novices dans l’existence ensemble mais avides d’apprendre. C’est lundi et c’est le quinze et je déborde d’eau, saturée d’hormones que je suis, terrain peut-être fertile entraîné à retenir les petites cellules vivaces qui se nicheront bientôt, qui s’accrocheront à mes parois. L’automne se presse à mes fenêtres et je m’apprête à construire un nid de mes espoirs, ma chaleur, des mille ressources déployées depuis tout ce temps de l’attente. Dans mon cou le vent souffle le frais des matins désertés par l’été, juste à l’endroit où dans quelques mois je le sais se logera la petite tête aux odeurs de brioche chaude. Je le sais je n’ai pas le choix si je n’y crois pas au point de fermer les yeux jusqu’à voir des étoiles, alors ça ne sert à rien. Si je n’y crois pas à chaque fois avec la certitude de la foi aveugle, ça ne peut pas advenir. Alors j’y crois, c’est lundi j’y crois, c’est jeudi j’y crois, c’est le premier j’y crois, le quinze le vingt deux c’est un bon présage l’oiseau sur la branche le nuage avec une forme étrange le caillou dans ma poche l’alignement des planètes l’appel à l’univers. C’est remettre chaque fois toute sa mise sur la table, se dépouiller de réserves, s’engager entièrement en se disant que c’est la première fois d’une longue série, que c’est déjà ça être mère, que je ne le suis pas encore mais que ça fait longtemps que je le suis déjà.
Laisser un commentaire